Il y a des sujets si dangereux à aborder qu’il vaut mieux se taire

C’est dramatique, mais c’est malheureusement un état de fait. Je voudrais aborder des sujets, et en écrivant ici, je réalise que je comprends pourquoi les médias ne parlent pas de certains sujets

J’imagine qu’on doit se demander ce à quoi je fais allusion. Heu ben, je parle de sujets d’articles, de sujets de discussions dont je sais de plus en plus qu’il ne faut pas en parler.
Ce serait dangereux d’évoquer certaines choses. Une notion très nette de danger se dégage de certains domaines. Il vaut mieux dire n’importe quoi, mais surtout, ne pas parler de ces choses qui brûlent au fond de soi. Ben faut y penser, mais c’est tout.

Je ne sais pas du tout si ça a toujours été le cas. Ni si c’était au même point qu’aujourd’hui. Mais le danger lui est très net.

Sedir le miracle, les miracles du Christ, miracles des soldats de lumière

Le miracle est défini d’ordinaire par un fait qui déroute les lois naturelles.

Mais tous les faits considérés profondément sont des exceptions. Nous regardons en général les phénomènes de la vie en gros; nous voyons les choses qui se passent et, comme elles se ressemblent, la fréquence avec laquelle nous les voyons, nous les rend semblables et nous les classons dans la même catégorie.

Le miracle est un fait ordinaire, mais plusieurs éléments s’y remarquent que nous n’avons pas l’habitude de voir; c’est ce qui fait que nous nous récrions. En réalité c’est la vie commune qui est miraculeuse. Si vous regardiez un piéton traverser le boulevard, vous seriez stupéfait du nombre de forces qui interviennent pour qu’il puisse traverser sain et sauf. Les faits les plus ordinaires de notre vie sont tissés de centaines de fils et si un seul se rompt, c’est une catastrophe qui se produit. Si nous regardions ainsi notre vie, nous la passerions en adoration devant la bonté du Père.

Il y aurait beaucoup à dire sur les différences entre les miracles. Nous ne parlerons que de deux pour ne pas nous perdre dans des études que nous pouvons faire dans les livres. Nous distinguerons deux classes dans les miracles: les prodiges et les miracles proprement dits.

En l’homme il y a deux sphères: le relatif et l’absolu, il y a la durée et il y a une semence d’incréé. Dans la nature aussi il y a deux sphères: la nature elle-même, le créé, tout ce que le Père a organisé par Sa parole depuis la création et, en plus, il y a dans le non-moi quelque chose de la Lumière divine que le Christ a laissée dans toutes les atmosphères, dans tous les mondes comme le témoignage de Son passage, Et ces deux sphères dans l’homme et dans la nature se correspondent. Le relatif en nous perçoit, converse, manipule le relatif hors de nous; l’incréé en nous entretient des relations avec l’incréé hors de nous. Quand ce relatif en nous, nos facultés, nos habiletés manuelles, s’élevant au-dessus du commun niveau, arrivent à saisir du relatif hors de nous, c’est du prodige, tout ce que les Anciens ont enseigné dans les mystères, ce que les traditions hermétiques ont proposé de siècle en siècle à l’admiration et aussi à la cupidité de l’intelligence humaine.

Et puis il y a le miracle, c’est-à-dire ce quelque chose qui est l’expression vivante de la conversation imperceptible pour nous que le Verbe toujours présent hors de nous a avec la semence de lumière qu’Il a déposée dans nos coeurs. Lorsque cette conversation devient vivante, vivifiée par l’aliment de nos sacrifices, cette conversation de purement intérieure devient extérieure et l’homme dont le coeur en est le théâtre devient un théurge, c’est-à-dire un homme qui agit avec Dieu (nous n’entendons pas ce mot dans le sens des Anciens qui appelaient ainsi des hommes qui agissaient avec les dieux).

Nous ne parlerons que de ces miracles.

Parmi les sphères des relations entre l’Absolu et le coeur de l’homme, dans l’une ont lieu des phénomènes mystérieux: extases, stigmates, transfigurations du corps et tous les faits de la vie mystique intérieure; et dans l’autre se produisent les faits de la vie mystique extériorisée: guérisons, régence des phénomènes matériels. C’est de cette dernière classe seule que nous parlerons.

Voyons tout d’abord dans quelles conditions se produit un tel miracle.

Le miracle n’a pas de condition.

Pour nous, observateurs, nous voyons le miracle se produire quand tout le possible a échoué; c’est-à-dire la réalisation de l’impossible. Mais ce n’est pas encore une condition du miracle car nous ne sommes pas de bons juges de toutes les possibilités de la nature. Il n’y a pas de condition au miracle car il est l’intervention directe et immédiate du Ciel sur la terre. Il est libre; il est comme l’Esprit qui souffle où il veut et dont personne ne sait ni d’où il vient ni où il va. C’est le témoignage de la permanence du Verbe au milieu de nous.

Comment distinguer entre les prodiges et les miracles ? Pour cette distinction il faut avoir en soi le sens du divin. Voyez dans l’art; le littérateur, le peintre, le musicien qui ont à juger une oeuvre d’art. Quelque chose en eux leur dit: C’est beau, ou c’est médiocre. Avant même qu’ils aient pu formuler une conclusion logique. C’est le sens du beau qui leur fait dire cela. De même l’homme a en lui Dieu en germe. Quand ce germe ce réveille, c’est la naissance du Verbe en nous. Pour distinguer le divin, il faut que ce germe soit éveillé en nous, C’est le seul critère dont nous disposions. Villiers de l’Isle Adam a dit: Personne ne connaît que ce qu’il reconnaît ª. Si nous n’avons pas le sens du divin en nous, nous ne pouvons pas reconnaître le divin hors de nous.

Chacun de nous habite un coin de l’univers invisible et selon l’habitat de notre esprit, notre intelligence fonctionne en conséquence. Celui dont l’esprit habite le pays des ombres voit partout des esprits: celui dont l’esprit habite le pays des fluides voit partout du magnétisme; celui dont l’esprit habite le pays de la logique voit partout le jeu des forces naturelles; celui dont l’esprit est sorti de soi-même et habite les régions où habite le Verbe, celui-là découvre toujours le divin qui se cache en tout être et il n’y a plus pour lui un miracle par-ci par-là; la vie tout entière est pour lui un miracle, même le plus petit sourire, même la plus imperceptible larme.

La valeur du miracle est donc intrinsèque. A Dieu il est aussi facile de renverser l’Himalaya que de guérir une écorchure. Le miracle vaut par lui-même, indépendamment de celui qui en est l’objet et indépendamment de celui qui l’accomplit. Tous vous avez eu au moins une fois une prière exaucée. Eh bien, une prière exaucée, c’est toujours un miracle qui se produit sous une forme familière, car Dieu aime à se cacher. Quand Dieu s’occupe essentiellement, profondément de nous, Il dissimule Son action et Se fait à notre taille pour que nous l’acceptions et que devant Lui nous tremblions, non de crainte, mais de tendresse.

Quand une prière a été exaucée pour vous, j’aime à croire que vous n’avez pas cru qu’elle l’était à cause de vos mérites. Souvenez-vous de la parabole des ouvriers de la 11e heure et entrez dans la voie au bout de laquelle s’ouvre la Cité des miracles; souvenez-vous que le Christ dira un jour à ceux qui protesteront qu’ils ont guéri en Son nom et prophétisé en Son nom: Retirez-vous de moi, je ne vous connais pas. Cette chose dure leur sera dite car ils n’auront pas été humbles, ils ne se seront pas crus des ouvriers de la 11e heure.

La valeur du miracle s’emprunte au canal infime par lequel passe ce fleuve de la vie éternelle. Et ici s’affirme la grandeur de l’homme qui peut faire qu’une chose soit du néant ou au contraire qu’elle surpasse l’univers.

N’ayez pas le désir du miracle; ce serait tenter Dieu et tenter Dieu, c’est attirer invinciblement des tentations auxquelles on succombe invinciblement.

Nous pourrions essayer d’étudier les procédés des anciens thaumaturges, de ceux qu’on appelle des mages ou des adeptes, grâce auxquels s’est perpétuée un peu de la Lumière originelle mise par le Père dans la création. Mais nous ne faisons pas d’occultisme. Je ne mentionne ces choses que parce qu’elles existent et que leurs lueurs, pour fausses, pour vaines qu’elles soient, vous ont peut-être séduits et qu’elles en séduiront d’autres. Mais si vous goûtez un jour de la vraie Lumière, vous aurez le devoir d’éclairer ceux qui s’abreuvent à ces sources falsifiées.

SÉDIR

Sedir Initiations, Sainte Vierge, Andréas, maître Philippe de Lyon

Mais, objecta Stella, Lourdes, la Salette, le Puy-en-Velay, c’est la montagne ? – Oui, mais ces centres-là, répondit Andréas, ont été créés d’En Haut; ils ne viennent pas des hommes.

L’AVE MARIA

Andréas et Stella étaient de retour depuis peu d’un voyage en Pologne. Ils y avaient été les hôtes d’un grand seigneur qui les avait promenés dans tous les coins de ses domaines immenses. Andréas avait rapporté diverses plantes rares, et une certaine espèce de gui, dont il voulait extraire des médicaments inconnus. Il me parla longuement de leur préparation ; puis l’entretien dévia sur le peuple polonais dont il me fit l’éloge.

– Avez-vous remarqué, docteur, me dit-il, comme ces gens aiment la sainte Mère de Dieu, la swienta Matka Boza ?

En effet, reprit Stella , on est très dévot à la Vierge, dans toutes les classes de la société, sauf chez les intellectuels qui ont pris l’habitude d’aller en Allemagne pour leurs études. Ce qui est curieux, c’est que le culte populaire, celui qui jaillît spontanément du coeur des foules, se forme presque toujours dans les plaines, dans les forêts où il y a beaucoup de chênes.

– Oui, répondis-je, ils ont leur fameux pèlerinage de Czenstochowa, comme autrefois, dans la forêt beauceronne disparue, l’antique Vierge noire de Chartres. En Bretagne, où on aime beaucoup la Vierge, il y a de nombreuses chênaies; à Meudon même, où les séminaristes de Fleury ont placé une statue de la Vierge, ils l’ont mise dans un chêne.

– Mais, objecta Stella, Lourdes, la Salette, le Puy-en-Velay, c’est la montagne ?

– Oui, mais ces centres-là, répondit Andréas, ont été créés d’En Haut; ils ne viennent pas des hommes.

– En outre, demandai-je, toutes les Vierges miraculeuses des plaines sont noires ; et on les adore souvent dans des cryptes. Quelle raison y a-t-il ?

– Mais, mon docteur, le chêne, le gui, les cryptes, cela va ensemble. Vous savez bien que c’est des substances les plus nocives qu’on extrait les médecines les plus merveilleuses. Le gui, c’est un parasite, le chêne est un arbre tourmenté ; c’est comme l’olivier, qui souffre beaucoup pour croître, et qui donne l’huile dont on a fait le symbole de la paix.

– Comment, l’olivier souffre ?

– Mais certainement ; vous n’avez jamais regardé un olivier? On fait la lumière électrique avec du charbon; quand les anciens voulaient attirer l’un quelconque des feux du firmament, ils opéraient dans les cryptes, Vous devez savoir tout cela aussi bien que moi, puisque vous avez étudié les mystères. Vous devriez, tenez, nous dire vos idées sur la Vierge; vous connaissez certainement beaucoup de théories.

– J’en connais en effet plusieurs, mais pas une ne me satisfait, répondis-je.

– Racontez-nous cela, me dit Stella pour m’encourager ; il vous renseignera ensuite.

Voici, commençai-je, sur un signe d’approbation d’Andréas. Il y a deux sortes de théories, – celles où la Vierge est conçue comme un symbole et celles où on la considère comme une force vivante, personnelle ou impersonnelle. Les premières sont des systèmes philosophiques, sortis plus ou moins du platonisme; ils ne m’intéressent pas. Pour moi, les idées ne sont pas des abstractions; elles ont une forme, une substance, une énergie. Je m’en tiendrai donc au second groupe de théories.

– Vous avez remarqué certainement, me dit Stella, que les croyances populaires, pour la Vierge, comme pour les forces de la Nature, donnent à toutes les formes de l’Invisible une personnalité. Ainsi sur toute la terre existe la légende religieuse d’une Vierge donnant naissance à un Sauveur.

– Oui. le peuple a cru tout bonnement, mais les savants ont déclaré que c’était un symbole. Seulement chaque classe d’initiés a voulu prendre le symbole pour son usage exclusif…

– Oh ! docteur, interrompit Andréas. les initiés ne possèdent pas toute la Vérité, mais il est cependant parmi eux des avants impartiaux et tolérants. Il faut rendre justice à chacun. Mais continuez, je vous prie, ajouta-t-il, en me voyant un peu interdit.

J’ai vu, demandai-je, dans les livres des alchimistes, qu’ils considéraient la pierre comme l’image du Verbe dans le minéral, et que leur matière première réelle était, selon eux, la Vierge. Robert Fludd explique cela. Un brahme du Dekkan ! a enseigné que le Père, le Fils, l’Esprit et la Vierge existent en l’homme: le Père, selon lui, c’est la racine de la volonté; et le Fils, c’est le point de volonté projeté; la Vierge, c’est la forme imaginative nourrissant ce point extériorisé; l’Esprit est la vibration de tout le système.

– Je connais cette théorie, me dit Andréas. C’est à peu près la même que celle de Sri Srimât Sankaracharya dans son Ananda Lahari, à propos des rapports de Siva et de son épouse.

– Chez les brahmes orthodoxes, il y a la Maya, l’illusion universelle. Maria, ajoutai-je un peu doctoralement, c’est Maya ayant reçu le R, le signe de l’existence propre.

– C’est une opinion, dit Andréas; elle est, je crois, de Fabre d’Olivet. Mais comment explique-t-il que les brahmes veulent échapper à la Maya, et que les chrétiens, au contraire, se jettent dans les bras de Maria ?

– Je n’ai rien lu là-dessus, répondis-je.

– Moi, je crois, docteur, que l’Oriental veut échapper au mal en échappant à la vie, au changement, au devenir ; il se réfugie, ou essaie de se réfugier dans le zéro. Le chrétien, au contraire, essaie d’échapper au mal en s’élevant à un autre mode d’existence.

– En effet, m’écriai-je, je comprends. Si Mariah signifie espace céleste, lieu de la vie absolue, elle est la mère du Verbe, bien que sa créature, puisqu’elle lui fournit, si on peut dire, la substance de ses développements. Dans la grammaire de d’Olivet, le nom, c’est le Père; le verbe, le Fils; la relation, l’Esprit et le signe, la Vierge.

Oh ! bien, me dit Stella, ce n’est pas la peine de faire du sanscrit. de l’hébreu et des calculs pour trouver cela. Ce que vous dites est écrit en français dans tous les paroissiens!

Mais Andréas la reprenait en souriant.

– Que tu es exigeante ! n’as-tu pas cherché longtemps ce qui était devant toi; et moi aussi, n’ai-je pas fait des milliers de lieues au lieu d’étendre simplement la main ? Laisse-le donc; rien n’est inutile.

Et se tournant vers moi:

– Voici ce que je ferais, à votre place. Je pourrais vous raconter de longues histoires sur toutes les Mayadevis, les Kouan-Yin, les Saktis, les Hirams et les Miriams imaginables. Si je ne le fais pas, vous savez bien que ce n’est pas pour jouer à l’initiateur et vous tenir la dragée haute; c’est pour vous gagner du temps. Donc, regardez autour de vous, cherchez ce que la Nature, la foule, obéissantes à l’instinct vital, ont élaboré. Nulle part ailleurs plus qu’en Europe ne se trouve de culte de la Vierge. Qu’est-ce qui fait la base de ce culte ? L’Ave Maria, extrait de l’Evangile, les litanies, et quelques autres petites choses spéciales aux différentes fêtes liturgiques.

– C’est vrai, avouai-je. L’Ave Maria comprend la salutation de l’ange et celle d’Elisabeth qui se trouve déjà dans la liturgie de saint Jacques le Mineur, et dans l’Antiphonaire de saint Grégoire le Grand. Baronius dit que la troisième partie vient du concile d’Ephèse de 431, sauf les mots: maintenant et à l’heure de notre mort, attribués aux Franciscains, La prière a été importée d’Alexandrie, je crois; elle aurait été introduite en France par Louis Le Gros. L’Ave Maria vient donc réellement du christianisme apostolique.

– Comme vous êtes érudit ! souriait Stella.

– Erudition de candidat! Mais, demandai-je à Andréas, quelle est la raison réelle de la suppression du culte de la Vierge dans le protestantisme ? Pourquoi Cromwell a-t-il interdit la récitation de l’Ave ? je crois que son importance est vitale, puisque le roi des mystiques protestants, Boehme, l’a réinventée, sous le nom de Sophia. Il est vrai que les pasteurs le persécutèrent.

Le protestantisme, répondit Andréas, ne critiquant jamais, selon son habitude, le protestantisme est excellent à cause de l’esprit de liberté qui l’anime, il va de l’avant, mais il y a un gros mais – ses fondateurs, en cultivant le libre examen, ont cultivé le rationalisme, et le rationalisme sape peu à peu la croyance en la divinité du Christ. Au XVIe siècle, tous les réformés avaient cette conviction; aujourd’hui un grand nombre d’entre eux, versés dans l’exégèse, la renient, voient en jésus un homme plus avancé, un réformateur social, un adepte, un élève des Egyptiens ou des Hindous, un mythe même. Cet aveuglement actuel a été préparé, depuis trois siècles, en sous-main, par certains êtres, au moyen de la méconnaissance de la réelle dignité de la Vierge. Ceci, c’est le comment de votre question ; mais le pourquoi, docteur, est trop difficile à concevoir.

Je m’étonnais en moi-même qu’un homme aussi savant et aussi sage qu’Andréas professât l’opinion commune populaire sur le Christ et sur la Vierge. Mais, tandis que Stella nous donnait du thé, il me dit, répondant à ma pensée:

– Ne croyez pas, docteur, que je me permettrais d’affirmer ainsi de simples opinions ; je vous dis ces choses parce que je les sais.

Je voulais dire: Comment les savez-vous ? où est votre criterium ? mais il ajouta :

– Tout est vivant, rien ne meurt, et la Vérité vient vers celui qui la cherche de tout son être.

Nous bûmes en silence. Et, m’ayant offert du tabac, il me demanda si je pouvais lui indiquer la doctrine orthodoxe de l’Eglise de Rome concernant la Vierge Marie.

– Voici ce qu’elle enseigne, répondis-je. La Vierge est la première des créatures, reine des anges et des hommes, conçue sans péché par la grâce du Tout-Puissant. en vue des mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ et elle est toujours vierge. Mère de Dieu, parce que son fils est Dieu. bien qu’il ne tienne pas d’elle sa divinité, elle a été assumée et couronnée-par son Fils, le même jour, en âme et en corps. Le culte d’hyperdulie lui est dû. Elle est le canal de toutes les grâces descendantes et par conséquent de toutes les prières montantes , son Fils ne lui refuse jamais. L’Eglise grecque professe la même doctrine.

– Je me rappelle, dit Stella, avoir lu les livres ci-dessus. C’était au temps où je connaissais Eliphas Lévi, vers 1872. Cela ne me rajeunit pas. Ce pauvre Eliphas avait déjà de l’hydropisie, il aimait bien sortir avec moi. Il demeurait dans le bout de la rue de-Sèvres; c’était presque la campagne à cette époque. Tout Plaisance était en jardins de maraîchers; il y avait des guinguettes sur la route de Meudon; on y allait déjeuner et boire du vin blanc. Je lui commandais des clavicules , il y mettait des couleurs et des lettres et des images. Quand j’avais réussi à lui faire vendre un de ses manuscrits à bon prix, il se dépêchait de m’inviter à entamer la pile de louis, comme un étudiant bohème qu’il était demeuré, bien que sa barbe fut toute blanche. C’étaient de bonnes heures de détente pour moi ! – Et Stella souriait avec son mari à ces anciens souvenirs. Puis: Voyez comme je suis vieille, je radote déjà. Je voulais vous dire qu’Eliphas Lévi avait été diacre, un enfant terrible du séminaire. Il avait publié, sous le nom d’abbé Constant, La Mère de Dieu. Il avait alors trente à trente-quatre ans , et il m’avait prêté ce livre.

– Mais, dis-je, pardon de vous interrompre, vous avez possédé des manuscrits d’Eliphas Lévi ? Vous en avez peut-être encore ?

– Je lui ai bien vu calligraphier une douzaine de clavicules, mais je ne sais ce que tout cela est devenu. Vous savez, ajouta-t-elle, en jetant un regard de confiance et d’amour sur Andréas, il y a longtemps que ces choses ont perdu tout attrait pour moi. Eh bien ! dans ce livre Eliphas, diacre, résumait la doctrine théologique sur la Mère de Dieu. Il citait saint Bonaventure, Galatinus , dans un style très oratoire il expliquait tout ce que vous venez de nous dire, décrivant la Vierge dans son personnage historique, dans son essence théologique, commentant le chapitre VIII des Proverbes, la montrant dans son mystère d’intercédante et, avec Marie d’Agreda, comme la Jérusalem de l’Apocalypse, comme l’épouse du Cantique, comme le type de l’Eglise.

C’est saint Epiphane, au IVè siècle, qui assimile le premier la Vierge à l’Epouse du Cantique. Saint Bernard a développé cela. Marie d’Agreda a un peu copié saint Bonaventure qui a écrit sur la Vierge un Commentaire du Salve Regina, un Petit Psautier, les Louanges, le Miroir. Ce dernier traité est un commentaire de l’Ave Maria; les Louanges sont l’explication des figures de l’Ancien Testament: la Fontaine du Paradis, l’Arbre de Vie, le Paradis, l’Arche, l’Arc-en-Ciel, la Colombe, l’Echelle de Jacob, le Buisson ardent, la Vase de la Manne, le. Tau du Serpent d’Airain, la Verge d’Aaron, l’Etoile de Balaam, le Temple, Judith, Esther, etc.

– Tout cela sont, en-effet, des figures de la Vierge céleste, dit Andréas. Si vous êtes curieux, docteur, vous pouvez étudier cela par devers vous, tant au point de vue du symbole que selon l’hiéroglyphe de la lettre. Cependant, rappelez-vous que la science acquise par l’entendement seul s’évanouit.

– J’ai lu, interrompit Stella, la Cité mystique de Marie d’Agreda, mais en espagnol, c’est très beau, tandis que les traductions françaises coulent goutte à goutte comme des fontaines de guimauve. Cette dominicaine fait un éloge dithyrambique de la Vierge..

– Qui ne t’a plus qu’à moitié, dit Andréas. Tu as du sang huguenot dans les veines. Ce que dit Marie d’Agreda est assez vrai, seulement il faudrait pouvoir donner à sa vision sa place exacte. Mais continuez à rassembler vos souvenirs, je vous dirai mes idées plus tard.

– Cependant, dit Stella, la Cité mystique est pleine d’utilité; elle montre une vie idéale de jeune fille, d’épouse, de mère, en faisant toucher du doigt la possibilité d’intéresser le Ciel aux actions les plus vulgaires…

– Savez-vous encore autre chose ? demanda Andréas.

– Non, répondis-je; tous se répètent. Saint Ambroise, saint Epiphane sont les premiers qui enseignent l’Immaculée Conception au double point de vue du péché originel et du Péché actuel., Saint Bernard, Jacques Sanazar, M. Olier se copient un peu les uns les autres.

– Et les mystiques non catholiques ?

– Je ne connais que Boehme et son école : Law, Gichtel, Pordage, Frankenberg. Ils parlent peu de la Vierge. Selon eux, elle avait fourni la matière du corps du Christ et sa nature humaine; elle était, quant à son âme, une émanation de la Vierge Sophia, de la Nature-essence, mais seulement après la conception de son Fils; elle n’est par elle-même qu’une femme sainte, qui ne participe pas aux prérogatives de la divinité.

– Et maintenant, ajoutai-je après un silence, puis-je vous prier de me dire quelque chose ?

– Ecoutez, docteur ; permettez-moi de ne pas juger les théories que vous m’avez exposées. Je vous dirai, tout bonnement, mon opinion à moi. A vous de comparer, de peser, de vous décider. Vous aurez le devoir de le faire, ce sont là de graves sujets.
Voici ce que je comprends de ce mystère. Quand le Verbe a pris un corps terrestre, il lui a fallu, par bonté, ménager la faiblesse de la matière physique. On dit que la lame use le fourreau. Si cela est vrai pour les hommes, à plus forte raison le corps destiné à devenir l’instrument du Tout-Puissant devait-il avoir reçu une trempe très pure. Il fallait donc que la mère physique du Christ, l’instrument de ce miracle, fût exempte des tares de la matière organique ordinaire. Par ainsi, elle est reine des saints, comme elle est reine des anges pour être restée pure après avoir traversé la fange.

– Il me semble saisir une idée nouvelle, répondis-je à la muette interrogation d’Andréas.

– Cela ne fait donc rien, continua-t-il, – du moins par rapport à nous -, que, comme l’enseigne l’Eglise, Marie ait été créée pure dès son premier contact avec la terre, quinze ans avant la naissance du Verbe, ou que, comme le disent des partisans de la réincarnation, elle soit descendue maintes fois sur la terre, menant sans défaillance une vie constamment sainte et préparant ainsi la très haute gloire de sa dernière incarnation.

– Je m’explique alors, dis-je, pourquoi Boehme l’appelle Salut de cette vallée de douleurs, et un autre l’Affliction purifiée !

– C’est pourquoi, poursuivit Andréas, sans paraître m’avoir entendu, elle est le chemin pour aller au Christ, car, quelle que soit la théorie qu’on se fabrique, le fait demeure que la Vierge a satisfait, toujours, à toute la Loi.

– Tous les Pères de l’Eglise lui donnent le titre de Porte du Ciel, dit Stella. Vintras aussi, ajouta-t-elle.

– Et je pense, demandai~je, que les titres qu’on lui confère dans les litanies et dans les hymnes liturgiques sont autre chose que des louanges poétiques ?

– Certainement, me répondit Andréas en se levant. Tout est vrai, je vous le répète, mais dans son plan. Les raisons de ces titres sont implicitement contenues dans la Salutation angélique. Je vais essayer de vous montrer cela tout à l’heure.

Et, tandis qu’il passait dans son atelier pour y écrire un billet oublié, Stella continuait, pour ainsi dire, son enseignement :

– Voyez, disait-elle, il y a trois parties dans cette prière: une dite par l’ange, une dite par une créature privilégiée,, la mère du Précurseur, et une inventée par des hommes pieux…

Or, chacune de ces trois parts se divise en deux phrases, et l’Ainsi-soit-il termine le septénaire. Ainsi le nombre ? se retrouve ici, pour avoir joué un grand rôle dans sa vie.

– Comment cela ? demandai-je.

– Andréas m’a dit qu’à sept ans elle avait eu l’intuition de sa mission, qu’à quatorze ans elle s’était mariée, à vingt-huit ans son Fils l’a quittée, à quarante-neuf ans elle l’a vu mourir, à soixante-trois ans, elle a reçu sa couronne.

– Je vois, il y a là un -cycle planétaire complet: je vous salue, Marie, pleine de grâce, c’est la prosternation; le Seigneur est avec vous, c’est le rayonnement divin -, vous êtes bénie, c’est l’énergie multiplicatrice; jésus, le fruit de vos entrailles… est le coeur solaire du système; sainte Marie, priez pour nous appelle la céleste douceur; à l’heure de la mort fait revivre les guides conducteurs des morts : Anubis, l’Hermès psychopompe, Yama; Amen, c’est la forme du nombre sept qui, selon Boehme, corporise tout désir, et…

La réapparition subite d’Andréas coupa court mon développement hermétique. Il se rassit et reprit la conversation au point où sa femme l’avait amenée.

– Le nombre sept semble être celui qui se retrouve le plus sur cette terre ; il doit donc avoir un rapport étroit avec la loi de la vie humaine ; mais cela ne nous regarde pas, pour le moment. Remarquez plutôt ceci : c’est l’ange qui salue la ‘Vierge c’est la femme juste qui lui décerne une juste louange; ce sont les pécheurs qui l’élisent ; ou, si vous préférez, l’ange nous montre ce qu’elle est en face de Dieu, Elisabeth nous indique sa place dans le genre humain, tandis que la troisième partie est la conclusion irrésistible des deux autres.

– Ainsi, vous recommandez le culte de la Vierge, le culte d’hyperdulie ? demandai-je.

– Mon cher docteur, je ne prescris rien ; ceux qui se sentent portés à faire présenter leurs prières par la Vierge n’ont pas tort. Voilà tout ce que je sais.

– Explique-nous la suite, veux-tu ? demanda Stella.

– L’Ave Maria, en latin. en français ou dans toute autre langue, a une interprétation et un sens différents; mais, notez-le bien, docteur, seulement dans le royaume de la parole humaine; dans le royaume de la parole divine, il n’a qu’un sens. La langue de ce royaume, c’est l’Esprit qui nous l’Enseigne ; et il faut se préparer à recevoir ses leçons par le travail, par l’acte. Voilà tout le mystère dans sa simplicité. La Vierge n’était pas féministe; elle n’a jamais présidé de loge maçonnique, ni fourni de la copie à un grand quotidien. Elle a été enfant obéissante, jeune fille mariée sans qu’on lui ait demandé son avis, femme livrée à la suspicion de son époux, aux commérages, aux travaux domestiques. mère condamnée aux pires inquiétudes, couronnées par la plus immense douleur; veuve active et bienfaisante, s’occupant encore de tenir le ménage des apôtres; vie obscure, vie commune, anti-intellectuelle. Ceux donc qui se feront le mieux entendre d’elle seront des gens de la même lignée, de pauvres travailleurs, dont l’existence mesquine se consume entre la fatigue et l’inquiétude de la nourriture quotidienne. Ceux-là ne font pas de gématrie, ni de mantrams. Quand ils demandent, c’est avec un cri de leur pauvre vieux coeur épuisé. Ils sont tout près du royaume de la Parole. Le Ciel les écoute beaucoup mieux que les initiés.

– Ainsi Catherine Emmerich a raison de dire que la Vierge est le modèle de la femme ? demanda Stella.

– Elle est le modèle de l’humanité. Mais il est difficile de parler de quelqu’un sans le juger. Elle me pardonnera, si je dis quelque chose d’inexact, ou qui vous choque, docteur.

– Je pense, dis-je, être assez sage pour ne pas rejeter ce que je ne comprendrai pas. Mais, je vous prie, pourquoi l’archange Gabriel la nomme-t-il et l’appelle-t-il pleine de grâce ?

– Quant à son nom, docteur, permettez-moi de n’en rien dire , c’est une science que nous ne sommes pas en état de supporter que celle des noms et d’ailleurs je ne la connais pas. Quant à ce titre: pleine de grâce, cela veut dire qu’en Marie tout a été rénové par le Ciel. Elle n’a pas expérimenté corporellement la mort, vous le savez. Or, depuis la lumière centrale de son âme, depuis les merveilleux organes de son esprit jusqu’aux moindres des molécules de son corps de chair, tout en elle a été lavé des souillures de l’égoïsme.

– Comment cela ? dis-je.

– Eh bien ! quand un homme cède à la colère, et qu’il frappe son interlocuteur, les muscles de son bras, ayant fourni du travail, se sont développés, ils ont bien agi selon leur fin. Mais l’intention, le désir, comme disait Saint-Martin, qui les a mis en mouvement, étant pervers, leur travail a eu des suites néfastes qui se sont étendues à tous les mouvements ultérieurs de ces mêmes muscles. Pour le purifier, il faut donc que le Ciel convertisse toutes ces fibres musculaires, en plus de la conversion morale qu’il doit provoquer. Donc, si la Vierge parlait peu, si l’affabilité, la simplicité, la dignité de sa tenue atteignaient la beauté, c’est parce que tout le mal que décèlent un verbe prolixe, une attitude disgracieuse avait été enlevé et remplacé par la grâce, par la lumière gratuite descendue du Ciel.

– Je comprends maintenant, Maître, pourquoi les litanies la nomment Miroir de la Trinité, Trône de la Sagesse et Mère de Grâce, pourquoi saint Bernard dit qu’elle est le Ciel et l’Arche de Dieu.

– Il y a encore d’autres motifs à ces titres, docteur ; mais, croyez-moi, ne vous embarrassez pas de ces spéculations trop lointaines. En quoi cela vous avancerait-il de savoir comment elle est une étoile au-dessus de la mer universelle ; à quelles cérémonies invisibles se réfèrent les titres de Porte de Cristal, de Salle de Festin, de Rose mystique ; dans quel drame cosmique elle joue le rôle de Tour de David, de Tour d’Ivoire, de Maison d’Or ? Il ne faut pas être trop curieux ; c’est là ne leçon que j’ai apprise à mes dépens.

– Alors, dis-je, il ne faut pas étudier ?

– Ne vous jetiez pas aux extrêmes; mais faites les choses possibles. Bornez vos études à ce qui concerne votre vie actuelle. Le champ est déjà assez vaste. Par exemple, pour venir au sujet qui nous occupe, comprenez que, si l’ange lui dit: le Seigneur est avec vous, c’est parce qu’il la voit la plus humble des créatures…

– J’ai lu dans le temps un manuscrit janséniste qui disait également cela, interrompit Stella.

– C’est aussi parce qu’elle est, en essence, indissolublement liée, par son amour, à son Fils ; c’est parce que, non seulement pendant sa vie terrestre connue, mais toujours et partout, elle est en communication constante avec lui, -non par un effort magnétique ou mental, mais par l’effet de son amour; c’est cette présence de Dieu qui lui a permis de tant supporter de souffrances, de surmonter tant d’épreuves, matérielles et morales. je crois, docteur, que vous n’avez pas encore lu comme il faut l’Evangile ?

– Mon Dieu, dis~je, l’Evangile, comme tous les livres sacrés, renferme plusieurs sens, que l’on peut découvrir au moyen de calculs littéraux et numéraux sur les mots, les nombres des lettres, des chapitres et des versets. Comme toute langue a son aspect hiéroglyphique, les traductions ordinaires sont susceptibles de ces manipulations, mais la version latine, la grecque et l’araméenne sont encore meilleures..

Vous allez trop vite, docteur, interrompit Andréas. Pour qu’une telle étude donne des résultats vrais, il faudrait tout au moins que vous connussiez la science des nombres et celle des lettres. Or, personne, vous entendez, personne, même parmi les plus réputés, ne sait davantage que la première lettre de l’alphabet de ces sciences. Voyez de quelle certitude doivent être les opérations théosophiques, les transpositions, les carrés magiques et autres !

Comme je ne répliquais rien, tout décontenancé, Andréas poursuivit :

– L’Evangile donc n’a pas plusieurs sens, comme vous, occultiste, entendez cette expression. Les divers sens des livres sacrés sont comme des phrases nouvelles qui apparaîtraient dans un texte cryptographique lu avec des grilles différentes. L’Evangile est toujours un, toujours central. Son lecteur y aperçoit le centre du plan où sa vie spirituelle se déroule. La signification de la parole du Verbe nous apparaît donc plus ou moins haute, ou profonde ou universelle, suivant que nous sommes nous-mêmes plus ou moins éloignés du centre vrai. Comprenez~vous dès lors, docteur, que tout mot de ce livre est absolu ?

– C’est vrai, dit Stella. Quand je suis un peu lasse, je dis je suis terriblement fatiguée. Ce n’est pas exact. Tout le temps nous appliquons des termes hyperboliques, extravagants à de toutes petites choses, l’Evangile donne à tout sentiment, à toute idée, à tout fait son expression exacte. C’est ce que les littérateurs appellent sa simplicité.

Comme J’approuvais de la tête, tout étonné de n’avoir jamais pensé à des choses aussi évidentes, Andréas continua:

– L’ange la salue. C’est une politesse. Savez-vous ce que c’est que la politesse, ou plutôt ce qu’elle devrait être ?

– C’est, répondis-je en riant, de demander, avec une feinte sympathie, des nouvelles de sa santé à un raseur.

– Or bien, dit sérieusement Andréas, si quelqu’un vous ennuie, vous ne l’aimez pas, votre politesse est un mensonge; elle vient des ténèbres et enfante des ténèbres. Ce n’est pas énorme, évidemment; mais, si nous ne faisons pas les petites choses, comment pourrons-nous en entreprendre de grandes ? Le salut de Gabriel est donc animé d’un sentiment sincère. Quelles sont les qualités des anges ? L’obéissance, l’innocence. Sans cela ils ne seraient pas anges. Puisque Gabriel la salue, c’est qu’il reconnaît dans cette femme une pureté et une obéissance plus grandes qu’en lui-même. Et, en effet, en venant au monde l’esprit de Marie était pur et elle se garda pure toute sa vie.

– Alors vous admettez l’Immaculée Conception?

– Voyons, docteur, si une femme malade a un enfant, sera-t-il sain ? Si le caractère, le tempérament, la mentalité, la nature humaine, en un mot, du Christ étaient parfaits, celle qui a été le laboratoire de ce diamant pouvait-elle être pervertie au moindre degré ?

– Pour en revenir à la parole : pleine de grâce, elle ne concerne pas la beauté physique, évidemment ?

– Pourquoi pas, docteur ? La Sainte Vierge était très belle, mais pas comme on entend ce mot, sauf chez de très rares artistes. L’intensité de la vie intérieure modelait son visage; il était extrêmement mobile et, comme elle faisait toute chose de tout coeur, sa figure exprimait, pour chacune de ses actions, le type idéal de la faculté qu’elle utilisait. Je ne sais pas si je me fais comprendre?

– Oui, il me semble. Quand elle priait, par exemple, elle aurait été pour un artiste l’incarnation vivante de la Prière; quand elle faisait l’aumône, celle de la Charité, et ainsi de suite ?

– C’est ce que je voulais dire, docteur. Il y a autre chose. Ce que l’Eglise appelle la grâce, c’est une force que le Ciel nous envoie gratuitement, même quand nous avons cru la mériter par une bonne action. Pour vous, docteur, la grâce est l’opération par laquelle le Ciel remplace en nous une cellule physique, mentale, astrale, de n’importe quel genre, malade, par une cellule pure qui vient de son Trésor. Or, chez la Vierge, tous les organismes visibles et invisibles avaient été ainsi rénovés, il ne subsistait, si je puis dire, que la trame du travail de la Nature.

– Il me semble, dis-je, avoir lu quelque chose comme cela dans Henricus Madathanus.

– C’est possible, docteur; les premiers Rose-Croix aimaient la Vierge, quoique protestants.

– Et aussi, demandai-je, n’y a-t-il pas un rapport entre les grâces qu’elle a reçues et les neuf choeurs des anges?

– Il y en a un, en effet, au point de vue catholique. Saint Bonaventure en a parlé. Mais, je vous répète, c’est un détail, et c’est trop difficile encore pour nous.

Et vous ne m’avez rien dit sur le nom même de Marie.

Oh! docteur, vous connaissez aussi bien que moi toutes les gloses mystico-hébraïques auxquelles ce nom a donné naissance, je ne veux pas vous faire perdre votre temps, croyez-moi, nous reverrons cela dans quelques siècles.

– Si seulement, dis-je, la Providence veut bien me faire la faveur de vous retrouver!

– Ah ! oui! s’écria-t-il en riant doucement , ce serait une jolie faveur! parlons-en ! Il ne faut pas avoir de ces idées-là, docteur !

– Oh ! s’écria doucement Stella d’un ton de reproche, pourquoi dis-tu cela ? Tu vas lui faire de la peine. Mais se levant, l’entoura d’un bras.

– Eh bien ! docteur, dit-il gravement, je vous promets, puisque vous voulez bien m’accompagner, que je demanderai au Ciel qu’il vous ou, plutôt, qu’il nous donne la force de toujours accomplir sa volonté. C’est le plus sûr moyen que je connaisse de rester ensemble, à jamais.

Je m’étais levé aussi. Un air plus léger semblait remplir la chambre ; une saveur de printemps dilatait mon être. Je ne pensais plus, je me détendais comme dans un bain de lumière rajeunissante. Ce n’était pas la première fois que des sensations semblables, toujours aussi soudaines, m’envahissaient; leur pureté, leur force dépassait de loin tout ce que j’avais pu m’imaginer à la lecture des récits des extatiques. Et ces effets indicibles, je n’étais pas seul à en goûter le charme. Toujours, après l’une de ces trop brèves minutes de paradis, je remarquais que, sans le moindre effort de ma part, j’acquérais une sorte de prestige, j’exerçais une attraction indéfinissable sur les autres ; mes malades, en me quittant, disaient éprouver un mieux sensible, un apaisement physique et moral, dont ils ne pouvaient, ni moi non plus, s’expliquer la cause.

Après quelques instants, Andréas se remit à fumer, et continua son enseignement :

– La bénédiction que l’ange Gabriel reconnaît à Marie, c’est le choix spécial dont elle fut l’objet. Elle fut la première créature où s’accomplit le mystère que l’Eglise appelle naissance intérieure du Christ. Elle est le type-parfait de l’être obéissant, humble et aimant. En réalité, la femme, ou mieux encore tout le côté féminin de l’univers, vit plus conformément à la Loi que le masculin; mais la vie de la Vierge lui fut toujours, en toute chose, totalement conforme. De sorte qu’à proprement parler, ce n’est pas tant à l’imitation de Jésus-Christ que nous devrions nous adonner; le modèle est presque trop parfait ; mais à celle de sa Mère.

J’ouvrais la bouche pour demander la raison d’une élévation aussi exceptionnelle, mais Andréas me prévint :

– D’ailleurs, dit-il, tout ce que je vous dis là, ne vous le dissimulez pas, ce sont des à peu près. Le Christ et la Vierge sont des mystères; leur stature dépasse notre intellect. Leur secret, c’est celui de la création elle-même; nous ne pourrions le connaître qu’en sachant le pourquoi de la Vie. Peut-être qu’un jour le Verbe se dévoilera ; mais jamais nous ne mériterons cette faveur et, si nous la recevons, elle sera toujours pour nous une grâce gratuite.

– Donc, la bénédiction de Jésus, que célèbre Elisabeth, est la reconnaissance et l’amour de ceux qu’il sauve.

Tout simplement, docteur. Et encore, cette chose toute simple, bien peu y pensent. Les gens pieux, ou soi-disant tels, savent bien demander quand ils ont besoin de quelque chose, mais ils oublient presque. toujours de remercier. Il faut le faire, non pas que le Ciel se formalise de notre impolitesse, mais parce que notre gratitude, toute insignifiante qu’elle soit, est agréable à ses yeux, et qu’elle montre le bon exemple aux êtres que nous avons pour mission d’éduquer.

– Quant à la troisième partie de l’Ave Maria, dis-je, elle me semble toute claire. La sainteté de la Vierge se déduit des titres que lui a donnés l’ange Gabriel. Cependant, ce rôle d’intercesseur qu’on lui attribue, est-il réel?

Oui, docteur. Vous savez que tout ce qui passe sur cette terre y laisse une trace. La Vierge y ayant vécu, les éléments de son corps venant de la matière physique, la traînée lumineuse que son départ a produite peut se retrouver plus facilement pour-nous que le sillage de son Fils, par exemple, dont le corps physique était étranger à notre planète.

– Une triade druidique dit quelque chose d’analogue sur le corps du Verbe.

– C’était une intuition lointaine, repartit Andréas; mais nous parlerons de cela une autre fois.

– Oui, répondis-je, l’heure s’avance, en effet. Avant de partir, une dernière question. Pourquoi le tiers ordre a-t-il ajouté au priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ?

– Votre moi réel, vous ne le connaissez pas, docteur. Le champ actuel de notre conscience est très rétréci, il n’embrasse qu’un petit coin de notre être. Quand donc nous prions, notre corps physique participe à notre acte, l’esprit de ses cellules matérielles sort, si je puis dire, et va çà et là chercher de la lumière, comme un chien qui quête dans un labour, comme une somnambule qui cherche un objet perdu. Notre esprit trouvera plus vite une trace de lumière émanée autrefois d’un corps physique semblable au nôtre. La prière à la Vierge est donc plus facilement entendue.

– Mais, à l’heure de la mort? demanda Stella.

– Eh bien ! vous savez qu’après la mort, il y a un jugement individuel. A ce tribunal la justice est représentée par les génies qui avaient mission de nous surveiller, de nous aider et de nous guider. Si nous n’avons pas utilisé leurs offices, ils le disent. Mais le Ciel intervient toujours pour pallier nos fautes et excuser nos négligences. Or. la forme du Ciel, le rayon de l’Absolu le plus proche de la terre, c’est la Vierge. Voilà pourquoi la religion nous la présente comme secourable aux agonisants.

Je remerciai mes hôtes, et pris congé, car le vacarme des voitures de laitiers descendant de Montfermeil dans Paris annonçait l’approche du matin. Et je rentrai lentement chez moi, sous l’aube couleur de cendre, par les rues brillantes de pluie où se mouvaient les silhouettes vagues des balayeurs.

Sedir Initiations, l’aviation, Andréas, maître Philippe de Lyon

Sedir Initiations, l’aviation (à ses débuts), Andréas, maître Philippe de Lyon

L’AVIATION

    On causait un soir, chez Andréas, du progrès extraordinaire que la science de l’aviation accomplissait alors, et tout le monde faisait chorus pour admirer la hardiesse, l’ingéniosité, l’adresse des hommes volants. Notre hôte ne semblait pas partager notre enthousiasme, et quelqu’un lui en fit la remarque.

– Mais si, protesta-t-il, je trouve tout cela fort beau. Et puis, pendant ce temps-là, l’opinion publique est distraite; on se soucie moins des choses indispensables mais ennuyeuses.

L’un de nous parla du développement de la civilisation, de la défense nationale, de la culture de l’énergie, de l’esprit d’entreprise nécessaire à un peuple pour se maintenir à son rang.

– Eh ! oui, répondit Andréas , ce sont là des vues fort justes; mais se réaliseront-elles ? Toutes les inventions tourneront-elles au bonheur de l’humanité ? Vous savez bien que, pour les nations comme pour les individus, une seule chose est nécessaire: l’aide du prochain. Et puis, ces aviateurs sont hardis, sans doute ; mais, s’ils n’avaient point reçu d’aide, malgré toute leur persévérance, leur science, leur désintéressement, leur courage, ils n’auraient pas réussi comme ils l’ont fait. L’homme ne s’imagine jamais combien, dans tout ce qu’il entreprend, il reçoit de secours.

– Eh bien! si le Ciel a aidé l’aviation, ce ne peut être qu’une découverte excellente en tous points ?

– Le Ciel? dit Andréas, en hochant la tête , oui et non. Rien n’a lieu, évidemment, sans la permission du Ciel. Mais il laisse faire bien des choses qui ne sont, en dernière analyse, que des caprices, des curiosités, ou des cupidités. Tous les gens qui mettent trop de beurre dans leur soupe, le Ciel ne s’y oppose pas ; mais il ne le leur a pas ordonné, puisqu’il commande le contraire.

– Mais alors, rétorqua un jeune stagiaire, si un peuple ne va pas de l’avant, les autres le dépassent, l’oppriment et finalement le conquièrent ?

– Oui, répondit Andréas avec un sourire, c’est, juste; mais je ne dis pas qu’un peuple doive somnoler dans une paisible indolence; la Nature ne le permet pas, d’ailleurs. Voyez ce qui est arrivé aux Boers…

– Alors, les Anglais eurent raison? interrompit vivement un vieil employé.

– Eh ! non, je ne dis pas cela. Les Boers avaient tort de ne pas secouer la torpeur de leur existence patriarcale, mais l’Europe a eu le tort plus grand de ne rien faire pour leur défense.

– Que faut-il donc qu’un peuple fasse ? demanda le stagiaire.

– La même chose que l’individu. Il faut qu’il travaille, qu’il s’intéresse à tout, qu’il’se tienne à son rang, ou s’y maintienne, et qu’il ne craigne pas de se déranger et de dépenser de l’argent pour aider, à l’occasion, d’autres peuples en retard.

– La France n’a-t-elle pas fait cela ?

– Oui, souvent. Ce n’est pas sans raison, ajouta Andréas avec une certaine gravité, que la France est l’aînée des nations. et je ne suis pas chauvin en disant cela.

– Oh ! dit le stagiaire qui avait un peu voyagé, c’est nous les moins chauvins. Il faut entendre ce que les Américains, les Anglais ou les Allemands pensent de leur pays, pour s’apercevoir que nous sommes modestes…

Andréas fit un geste évasif qui arrêta le jeune avocat, mais il se tut. Alors, je demandai à mon tour:

– Eh bien ! et l’aviation ?

– Qu’est-ce que tu veux savoir ? interrogea notre maître.

– Dites-nous quelques petites choses.

Andréas parut faire quelques efforts de mémoire, tandis que son regard prenait une expression abstraite. Puis, s’étant assis, il nous parla de la sorte :

Tout vient à l’homme par des clichés, soit que leur chemin les mène ici-bas, soit que le désir humain les attire; mais bien peu parmi nous sont assez forts pour détourner un cliché de sa marche. Les clichés constituent tout un monde universel; ils sont l’ensemble des desseins de Dieu, des travaux qu’il a préparés pour nous et pour toutes les créatures. Il y a des clichés cosmiques ; la création est le plus grand des clichés ; des clichés planétaires, continentaux, raciaux, nationaux, individuels; il y en a de météorologiques, d’astronomiques, de religieux, de scientifiques, de politiques. Une maladie, un mariage, une catastrophe, un livre, une infortune. une naissance, une mort sont des clichés. Une bataille, un assassinat, une éruption volcanique, un gros lot, l’algèbre, un beau discours, cette réunion ce soir ici, ce sont des clichés. Des objets même, un canon, un navire, la cathédrale, des institutions politiques, un tribunal, une loi, une ville, une montagne, un appareil, l’automobile sont des clichés. Un aéroplane est aussi la matérialisation d’un cliché.

– Cela, c’est de l’illuminisme néo-platonicien, dit le docteur ès-lettres.

– Vous croyez, monsieur, que Plotin, Porphyre et les autres ont aussi inventé quelque chose de toutes pièces, qu’ils n’ont pas fait que reproduire des entités intellectuelles ? – Et, sans attendre la réponse, Andréas continua en agitant la main avec vivacité :

– Non, voyez-vous, l’homme n’est jamais qu’un copiste plus ou moins habile et ingénieux , le cerveau n’est qu’un appareil photographique plus ou moins sensible.

– Que faites-vous donc de la volonté ? répliqua l’universitaire.

– Elle ouvre ou ferme l’obturateur, répartit Andréas. Mais, ajouta-il avec une sorte de salut, il y a des exceptions; les gens très forts, très intelligents peuvent faire beaucoup par la volonté; tandis que nous autres, le commun, nous sommes conduits un peu en troupeau. C’est toujours du cas ordinaire que je parle. Eh bien ! donc, soit que l’homme, avide de trouver du nouveau ou de gagner de l’argent ou de se rendre la vie plus commode, ou pour tout autre motif, soit qu’il cherche de son propre mouvement, soit que la volonté de Dieu ou la marche naturelle des circonstances le place sur la route d’un cliché, les mêmes phénomènes vont se produire. S’il refuse le cliché, celui-ci s’éloigne, puis revient, si l’homme refuse une seconde fois. le cliché revient une troisième; et si l’homme refuse encore, il s’en va définitivement. Toutefois, si l’homme n’accepte qu’à la seconde offre, il aura plus de peine dans son travail que s’il avait accueilli tout de suite le cliché; et s’il n’accepte qu’à la troisième, l’invention lui coûtera bien des peines. Ce que j’appelle ici l’homme est autre chose que l’entité dont s’occupe la psychologie; j’entends parler de l’esprit de l’homme, du moi véritable, de ce qui est plus haut que la conscience.

Si le moi s’intéresse au cliché, celui-ci s’arrête. Ces deux êtres restent en présence un temps plus ou moins long ; ils se pénètrent réciproquement; l’esprit humain magnétise pour ainsi dire le cliché et en construit une image vitalisée avec plus ou moins de force. Lorsque ce travail d’assimilation spirituelle, de digestion a pris fin, le cliché modifié s’en va et continue sa route. Alors l’image monte jusqu’au-dessus du cerveau, du mental, veux-je dire; et, lorsque ce dernier l’aperçoit, naît tout à coup dans la tête de l’homme une idée. Il ne sait pas d’où cela lui vient; ou il croit que c’est le résultat de son intelligence, de ses recherches ; mais cela ne fait rien; la Nature n’a pas le sens de la propriété ni l’amour-propre d’auteur. Une fois la première intuition perçue par la conscience, ce que l’on nomme d’ordinaire la volonté peut s’attacher à cette lueur ou la négliger. Dans ce dernier cas, l’image flotte quelque temps autour de l’homme et, si celui-ci ne s’en occupe décidément pas, elle part, et il se peut qu’un cerveau plus hospitalier, plus ouvert ou plus curieux, l’accueille. Si la volonté accepte l’intuition, là commencent les inquiétudes,les travaux, les déboires de l’inventeur, mais le succès final lui fait tout oublier.

– Je ne demande pas mieux que de vous croire, dit le philosophe, après un moment de silence, bien que tout cela ressemble fort à des légendes mythologiques; mais comment cette image mystérieuse de l’inconscient passe-t-elle dans le conscient ?

– Je vous expliquerai cela, répondit Andréas, dès que vous m’aurez d’abord montré avec des paroles ou des lettres comment le zéro devient un, comment la sensation physique produit la perception, l’idée. Nous sommes parqués, voyez- vous, dans un enclos, mieux encore, entre quatre murailles. Etudier les géométries à n dimensions, c’est une ruse, ce n’est pas une solution. L’instinct, l’intuition perçoivent le non-moi par une sorte de contact, de mise en présence. Mais cela ne suffit pas à l’intelligence; elle veut se rendre compte. Alors elle dissèque, elle taille, elle prend des notes, elle distille des abstractions. Quand elle est saine, elle arrive à une idée juste , mais elle ne l’est pas souvent, alors le système scientifique ne répond plus à la réalité.

– Ainsi, j’ai bien raison de ne pas étudier, déclara un jeune homme robuste et aux traits énergiques, qui s’était tenu coi jusque-là.

– Non, tu as tort, lui répondit Andréas. Il faut, au contraire, étudier et faire agir la raison; pourquoi le bon Dieu nous l’aurait-il donnée ? Mais il faut se souvenir en même temps qu’on ne sait rien. Réfléchir, déduire, aligner des calculs, faire des épures, des équations, tout cela, ce sont des actes utiles. Seulement, il faut les laisser à leur place. Celui qui a, par exemple, envie de construire un aéroplane, l’idée fondamentale lui vient de la visite du cliché, et son désir, il s’efforce de le réaliser avec la connaissance qu’il possède des lois du monde physique. Construire une bicyclette exige des notions d’arithmétique, de géométrie et de mécanique; mais monter à bicyclette, c’est un instinct. Ceux qui ont le sens de l’équilibre apprennent bien plus vite, ils ne font pourtant pas de calculs sur le déplacement du centre de gravité. Ils raisonnent très Peu; c’est l’expérience, le tâtonnement qui leur sert. De même pour l’automobile, la natation, la simple marche. On ne nous a pas fait d’épures quand on a voulu nous apprendre à nous tenir debout, lorsque nous étions petits. Convenez donc que le travail de l’intellect est toujours subordonné à une perception instinctive ou intuitive.

– Mais cette perception, à son tour, de quoi dépend-elle ? Du cliché ? Et le cliché, quelles sont ses dirigeantes ? demanda coup sur coup le jeune homme.

– Le cliché est un être vivant, répondit Andréas. Ainsi des faucheurs sont un cliché de mort ‘pour les épis qu’ils moissonnent. Ils ont leur existence propre, leur destin personnel. Pour rester sur le chapitre des découvertes, tous les appareils que l’homme a inventés sont des analogies de métal et de bois avec tels organes ou groupes d’organes de la vie animale. Le coeur est une pompe aspirante et foulante; le système nerveux est un télégraphe, et ainsi de suite. Il se produit même ceci, d’un déluge à l’autre, sur terre, c’est que les tensions psychiques deviennent, de trente à soixante siècles plus tard, un appareil et que, bien plus tard, cet appareil objectif devient à son tour un organe physiologique. Par exemple, au cours de la dernière’ année platonique, les Atlantes s’occupaient beaucoup de transmission de pensée. Leurs efforts ont fini par appeler dans l’atmosphère fluidique terrestre les forces qui ont permis li télégraphie sans fil; et, peut-être, après un ou deux déluges, y aura-t-il des hommes naturellement pourvus d’un sens télépathique.

Quelle imagination! s’écria le philosophe, à mi-voix.

N’est-ce pas ? monsieur, lui dit Andréas avec un sourire gai. La volonté d’une masse d’hommes, tendue pendant longtemps, attire ce qui lui plaît, elle vit, elle évoque de la vie. Ce qui transmet la pensée, pour rester dans le même exemple, ce n’est pas des fluides, c’est, au fond, des êtres. Il est venu, il y a un peu plus de cent cinquante ans, une planète, près de nous, où habitent des animaux à beaucoup de pattes avec des yeux saillants et une carapace, comme de gigantesques coléoptères, ce sont eux qui constituent le cliché de l’automobile. Depuis une cinquantaine d’années – se trouvent, dans une région inexplorée du globe, quelques couples d’êtres ailés, c’est eux qui, sans le vouloir, par leur seule présence, ont, aidé à résoudre le problème du plus lourd que l’air .

– S’il en est ainsi, demanda l’ajusteur, les yeux brillants d’intérêt, ne peut-on pas appeler ces créatures plus près de nous, augmenter leur nombre, faire quelque chose pour les utiliser ?

– Cela, non, dit Andréas, on le peut, mais il ne faut pas le faire. Quand je dis : on le peut, un homme très fort et très hardi le pourrait; mais je ne connais personne capable de mener à bien cette entreprise. Vous avez dû comprendre, si j’ai été clair, que le monde des clichés est la clef de la vie universelle. Le Père ne la confie qu’à ceux qui sont assez sages pour ne pas s’en servir mal à propos ; et il faut terriblement souffrir, croyez-moi, pour apprendre cette sagesse. Il faut s’être sacrifié, avoir pardonné, avoir travaillé pendant des siècles et des siècles. Nous recevrons  tous un jour cette clef, je vous le promets, mais mettons-nous tout de suite à l’oeuvre. N’est~ce pas votre avis ? ajouta-t-il en s’adressant à tous.

Puis, se tournant vers le docteur ès-lettres:

– Vous voyez, monsieur, qu’en fin de compte toutes ces imaginations aboutissent à la simple et commune morale.

– Oui, conclut le vieil employé, au travail ! Cependant. il me semble que du contact d’un cliché avec l’esprit humain, le cliché doit sortir autre qu’il était venu ?

– C’est exact, répondit Andréas; nous avons une influence sur les clichés, influence Inconsciente, mais réelle. Aidez seulement votre prochain, et vous ferez votre devoir dans tous les cas imaginables.

Sedir Initiations, la pyramide, Andréas, maître Philippe de Lyon

Spiritualité – Sédir, Yvon Le Loup (lu également Paul Le Loup…) Quelques textes de Sédir, pour qui sa rencontre avec Monsieur Philippe fut un des moments les plus marquants de son existence.

Il était déjà écrivain, mais plus spécifiquement sur l’occultisme. Il devient dès lors un des écrivains les plus empreints de mysticisme qui se puisse concevoir. Par de nombreux écrits, il tentera de partager, de transmettre l’extraordinaire de ce que fut pour lui cette Rencontre.

L’un des ouvrages : Initiations relate, j’en suis persuadée, sa rencontre avec Philippe, de Lyon…

Sédir (Yvon Leloup 1871-1926) fait incontestablement partie des écrivains mystiques et solitaires, occultes du XIXe siècle, ayant le mieux exprimé l’extraordinaire personnalité de Monsieur Philippe, dont il faut le préciser, il devint un des proches amis.

LA PYRAMIDE

J’ai toujours cru que, pour une époque donnée, quels que soient le nombre et la divergence des doctrines qui s’y manifestent, il y avait certainement entre elles, soeurs ennemies, un lien commun, une architecture secrète, une armature profonde par quoi elles ne se trouvent être en somme que les résonances discordantes d’une même parole inaudible pour la masse, mais perceptible à quelques-uns.

Ce soir-là, je cherchais à obtenir d’Andréas l’indication qui me permettrait de saisir un exemple de cette unité secrète, organisatrice du monde métaphysique. Entre Alfred Fouillée, Secrétan et Bergson, par exemple, entre Taine, Péguy et le baron Seillière, entre l’Action Française, la Démocratie et Clarté un esprit tout à fait impartial doit apercevoir des ressemblances d’abord, et, par-dessous, des points de contact situés dans cette région de pénombre où s’estompent les disciplines classiques de l’intellect, les fougues romantiques de la passion, les régimes de la volonté, mais où paraît peu à peu le soleil de l’Esprit. Je m’efforçais donc de ranger bien en ordre les arguments divers des penseurs, et Andréas m’écoutait avec patience, plaçant çà et là quelques mots de mise au net.

– Toute règle, disait-il entre autres choses, est amère par-dehors et suave par-dedans; tout caprice, par contre, donne des sensations inverses. Toute passion épuise, toute action régénère suivant la qualité de leurs mobiles, tout se précipite alternativement des uns aux autres extrêmes. Ainsi la vérité n’appartient pas à l’ordre intellectuel seul : une brute peut la saisir dans le moment qu’elle échappe au penseur le plus libre. Elle ne réside point ici ou là ; elle n’est pas ceci plus cela ; elle n’est point ceci combiné avec cela ; l’analyse, ni la syncrèse, ni la synthèse, ni l’analogie ne la saisissent infailliblement. La vue complète d’un arbre ne s’obtient ni de bas en haut, ni de haut en bas, ni en tournant autour, ni même si, par impossible, on pouvait se placer dans son foyer vital. La préhension du vrai comporte une série de traitements des phénomènes et des concepts qui ressemble beaucoup aux manipulations chimiques. Ainsi il y a une catalyse psychologique et une catalyse philosophique, l’affinité existe entre les sentiments et entre les idées, une crise passionnelle ressemble à la lutte des ions dans l’atome, et l’inspiration, c’est l’éclair qui combine des corps hétérogènes.

– Dans quel’endroit de l’Evangile trouverai-je des vues sur ce point?

– Un peu partout, me répondit Andréas. La parabole des vierges, celle des noces, et puis peut-être une histoire arrivée pendant le séjour en Egypte de la sainte Famille. Je vais te la raconter. Tu sais que, à cause de l’hostilité des habitants, elle changea plusieurs fois de résidence et finit par se fixer non loin d’un petit village de pêcheurs, près de la Grande Pyramide. Auprès de ce monument campaient des nomades d’un type tout à fait distinct de celui des indigènes, parlant entre eux un idiome étranger, ne se mêlant pas à la vie des villageois dont ils soignaient cependant-les malades. On les disait originaires de l’Occident numidique où vivent les Bédouins, bien qu’ils ressemblassent plutôt aux anciens envahisseurs ninivites. Ils observaient constamment les astres, et les paysans avaient remarqué qu’ils quittaient la place ou y revenaient sans qu’on puisse retrouver dans les sables les pistes de leurs chameaux. On croyait qu’ils avaient découvert d’anciens souterrains, et on les craignait.

Leurs serviteurs qui, tous les jours, allaient au village puiser l’eau, acheter des grains ou des fruits, avaient vite connu l’arrivée de la pauvre famille juive. Saint Joseph allant travailler, et la sainte Vierge avaient rencontré quelques-uns des nomades, avaient lié conversation et dit leur histoire en quelques mots.

Un soir, nos exilés étaient sortis jusqu’aux Pyramides. Le soleil descendait et, dans l’ombre des énormes triangles de Pierre, rougeoyaient les feux des tentes bédouines. Le désert commençait déjà ; ce monde où l’immensité se pétrifie, où parlent seuls le tonnerre et le vent, où la solitude envahit le voyageur et le dénude face à face avec lui-même. Les milans noirs planaient dans le ciel merveilleux; sa splendeur déclinante colorait d’un faste royal les pauvres manteaux rapiécés. L’un après l’autre, les grands Bédouins barbus se levaient pour saluer le vieux Joseph et sa jeune épouse taciturne, puis faisaient jouer le petit enfant tout blond.

Ce petit les avait étonnés déjà. Un jour, de loin, ils avaient vu une lionne lécher ses pieds et, d’autres fois, le fennec si craintif sortir de son trou en plein midi pour courir avec lui. Ils avaient remarqué que les najas et les cérastes avaient quitté leurs retraites de broussailles épineuses, et d’autres choses encore. Finalement, l’un de ces solitaires avait demandé à Joseph la date de la naissance de cet enfant charmeur.

Pendant que son père et sa mère causaient, le petit Jésus à l’abri d’une roche, semblait s’amuser à tracer sur le sol des lignes au moyen d’un éclat de roseau, puis il courut au plus âgé des Bédouins et l’amena vers son ouvrage, comme tous les enfants qui ont réalisé quelque fragile chef-d’oeuvre. Mais le vieil homme au visage impassible eut à peine jeté un regard sur le dessin qu’il pâlit un peu et se pencha vivement sur cette confuse géométrie. Il y découvrit, dans un grand triangle isocèle, le plan des constructions ménagées à l’intérieur de la pyramide: la crypte, la chambre du Roi et celle de la Reine, les passages, le puits, tout enfin. Or, ces nomades étaient seuls à connaître cette structure secrète. Héritiers de traditions antédiluviennes, ils savaient que la Pyramide avec le Sphynx est un des livres de pierre où les patriarches ont consigné toutes les clefs de leur savoir. Sa position géodésique, son orientation, ses mesures extérieures et intérieures, les angulaisons de ses arêtes et de ses couloirs, les repères de ses chambres donnent des éléments d’astronomie générale et terrestre, de géographie, de sociologie, les lois de l’histoire politique, philosophique et religieuse, celles de la physiologie, de la psychologie…

– Mais. interrompis-je, les travaux -de Brück, de Piazzi-Smith, de Lagrange nous renseignent là-dessus ?

– Oui, continua Andréas; mais ces savants n’ont pas tout dit. Et, d’ailleurs, à l’époque des Ptolémées, personne ne se doutait de ces choses. Lorsque donc notre nomade eut bien regardé, étudié, mesuré le dessin du petit enfant et qu’il en eut reconnu l’exactitude, sa surprise devint extrême et un sentiment d’effroi profond s’empara de son âme.

– En effet, m’écriai-je. Je m’imagine un tel homme qui, après s’être battu avec toutes les idées, avoir vaincu toutes les passions, avoir affronté tous les dieux, avoir conquis enfin la certitude, aperçoit son trésor aux mains d’un enfant, se trouvant avec le miracle, lui pour qui aucun miracle n’est que l’application de quelque formule secrète; quel effondrement de tout lui-même !

– Oui, répondit Andréas. C’est sur la montagne la plus solide que le tremblement de terre exerce le plus violemment sa puissance. Or, pour finir mon histoire, quand le petit enfant jugea qu’on avait assez admiré son oeuvre, il reprit son roseau et compléta son dessin en traçant à l’intérieur de son triangle de nouvelles lignes qui firent apparaître une croix exactement semblable à celle que, trente ans plus tard, les bourreaux juifs devaient élever sur le Mont du Crâne. Toujours, sans rien dire, il indiqua au Bédouin comme des points de repère. Et, après les avoir mesurés, après avoir calculé, le visage brun de l’adepte devint comme de la cendre et sa haute stature se prosterna aux pieds du petit être mystérieux. Mais celui-ci, comme un enfant ordinaire, s’assit près de l’homme terrorise et se mit à jouer avec les franges de son manteau.

– Votre histoire est curieuse, dis-je. Est-ce qu’il ne s’agit pas d’ancêtres des Rose-Croix du XVIIe siècle, de cette -école qui prétend commencer à Hénoch, le fils de Caïn, le fort centralisateur, et qui se réclame d’Elie, l’attrait vers le haut, qui se développe entre l’endurcissement et l’espérance ?

– Cela, répliqua Andréas, en levant la main, c’est encore une autre légende. Ce que je voulais te faire voir, c’est de quelle façon ce solitaire libyen, possesseur de tous les éléments de la combinaison desquels naît la vérité, a pu apercevoir et appréhender cette vérité. Songes-y un peu.

– Voici donc, d’une part, la Nature, le coucher de soleil. les monuments séculaires, puis quelques hommes qui les étudient, puis trois personnages étrangers qui n’étudient pas, qui ne disent rien. Deux d’entre eux se préoccupent uniquement de protéger le troisième. Celui-ci est le plus petit, le plus inaperçu de tous; et, cependant, en jouant, il fait voir la ‘Vérité’.
Et puis ? demandai-je.

– Mais, répondit Andréas, ton analyse est complète. C’est comme cela que l’on trouve la Vérité. Tu ne me comprends pas, parce que tu ne t’arrêtes pas de raisonner. Il faut, à certains moments, ne plus raisonner, et simplement voir. C’est pourquoi la femme reçoit mieux que l’homme les vérités intuitives qui forment les rayons primitifs de la Vérité. Plaise à Dieu qu’elle ne se détache pas de ce beau privilège, qu’elle ne se mette pas à vouloir raisonner tout comme un homme. Il faut raisonner, certes, mais avec mesure, pas tout le temps. Surtout, il faut ne pas se rendre aveugle. Il faut pouvoir arrêter la machine mentale dès qu’elle commence à tourner à vide et se mettre alors à regarder, à sentir, à aspirer la Vie, à vivre, à aimer. Voilà la méthode, docteur, qui n’est pas une méthode, mais dont ceux-là seuls peuvent concevoir l’emploi qui ont épuisé toutes les méthodes.