Les cinq destinations touristiques les plus glauques
De Tchernobyl à Guantanamo Bay en passant par la Corée du Nord.
L’AUTEUR
Grégoire Fleurot est journaliste à Slate.fr. Il s’occupe notamment de la rubrique «L’explication».
Les destinations de voyage originales sont de plus en plus recherchées par les nouveaux aventuriers en quête de lieux moins connus où ils ne croiseront pas des hordes de touristes sur leur chemin. Cette quête pousse certains à se rendre dans des endroits mondialement célèbres, non pas pour leurs vues imprenables ou leur culture millénaire mais parce qu’ils sont les sites de catastrophes naturelles passées, de prisons qui ont marqué l’histoire ou les quartiers les plus chauds de la planète. Voici cinq destinations touristiques où la mort, la violence et la dictature remplacent (ou parfois s’ajoutent) au sable fin, au soleil et aux bikinis.
Tchernobyl (Ukraine)
A partir de l’année prochaine, vingt-cinq ans après la plus grande catastrophe nucléaire civile de l’histoire, la zone fortement contaminée autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl sera officiellement ouverte aux touristes intéressés par les paysages post-apocalyptiques et par l’Union soviétique. Les visiteurs pourront pénétrer à l’intérieur du périmètre interdit délimité après que le quatrième réacteur a explosé le 26 avril 1986, libérant un nuage radioactif sur le nord de l’Europe. Des circuits touristiques ont été dessinés pour permettre de voir les principaux sites tout en restant hors de danger. Il est déjà possible de visiter la zone avec des compagnies de voyage privées basées à Kiev, mais qui sont illégales car les normes de sécurité ne peuvent être garanties.
Parmi les attractions principales, le passage du point de contrôle de Dytyatky, la traversée de villes fantômes comme Prypyat, une ville qui abritait 50.000 habitants où les livres sont encore sur les bureaux des écoles et où les décorations du 1er mai sont encore accrochées dans les rues. Autre activité: la mesure du niveau de radiation. Les estimations du nombre de morts dues aux radiations de Tchernobyl vont de plusieurs centaines à plusieurs milliers, et plus de 350.000 personnes ont dû être déplacées. 2.500 personnes travaillent encore sur le site de la centrale pour minimiser les radiations.
Les ghettos (Rio de Janeiro, Los Angeles, Soweto)
C’est la grande mode de ces dernières années: des tours organisés dans les quartiers les plus chauds de la planète, ceux qu’on ne voit habituellement que dans les films. Vous avez aimé Menace II Society et Boyz n the Hood et connaissez les noms de Compton, Inglewood, ou South Central grâce aux chansons du rappeur Snoop Dogg? Sautez dans un car LA Gang Tours qui vous emmènera sur les lieux des plus grosses fusillades, voir les bâtiments qui ont abrité la création des gangs les plus redoutés de la ville.
Vous avez aimé la Cité de Dieu? Direction les Favela Tour de Rio, le pionnier des visites de ghettos dans le monde. Depuis 1992, Marcelo Armstrong fait découvrir les bidonvilles des hauteurs de la ville, où s’affrontent régulièrement les gangs et la police militaire d’élite, avec des vues imprenables et des discussions avec les habitants locaux.
Dernière escale obligée de tout tour du monde des quartiers les plus chauds qui se respecte: Soweto, l’immense township de Johannesburg, théâtre des «émeutes» en 1976 où de 23 à plus de 500 noirs selon les différentes estimations sont tombés sous les balles de la police lors d’une manifestation contre l’enseignement exclusivement en langue afrikaans. Pour visiter le township qui abrite le tiers le plus pauvre de la population de Johannesburg, les opérateurs ne manquent pas. Les habitants quittent même leur logis le temps de vous laisser vous prendre en photo dans la maison, comme si vous y habitiez…
Katrina Tour (Nouvelle-Orléans)
Pas moins de six compagnies proposent de visiter les zones dévastées par le passage de l’ouragan Katrina en 2005 à la Nouvelle-Orléans. Gray Line offre pour 38 dollars des visites de la zone sinistrée à la suite du passage de l’ouragan et de l’inondation après la rupture des digues, décrite sur le site de la compagnie: «Nous passerons devant une digue qui a cédé et verrons les ravages qui s’en sont suivis et qui ont déplacé des centaines de milliers de résidents américains. Votre guide vous donnera une chronologie des évènements qui ont précédé l’ouragan Katrina et immédiatement suivi le désastre du point de vue des locaux.» Isabelle Cossart, propriétaire des Tours by Isabelle, propose quant à elle «110 kilomètres de destruction en trois heures et demie» pour 65 dollars par personne, et affirmait en 2007 que la survie de son activité dépend plus de ces visites des quartiers dévastés que des cimetières, des plantations et des marais, qui attiraient les touristes avant la catastrophe. Certains opérateurs se distinguent par leur sens aigu de l’éthique: Airboat Adventures, qui se spécialise dans les visites des marais en aéroglisseur, propose également des visites post-Katrina, mais refuse de mettre sur son site des photos des zones dévastées «par respect» des victimes, même s’il précise que «tout le monde aura d’incroyables photos à prendre tout au long de la visite».
La Corée du Nord
Pour visiter la Corée du Nord, qui fait régulièrement parler d’elle à coups de provocations envers son voisin du Sud ou le monde occidental, il faut obligatoirement passer par une agence de voyage agréée. Impossible de quitter son hôtel sans être accompagné par un «guide» officiel qui surveille vos moindres mouvements. L’agence britannique Koryo Tours, basée à Pékin, assure être «le seul vrai spécialiste des voyages en Corée du Nord». A propos d’Air Koryo, la compagnie aérienne nationale qui est sur la liste noire européenne, le site écrit: «Nous adorons voyager avec Air Koryo, […] votre voyage commence bien avec les hôtesses rouge écarlate, le Pyongyang Times gratuit et la lecture révolutionnaire mise à disposition.» Pas sûr donc de trouver en Koryo Tours une agence indépendante, mais vous pourrez profiter de la force de ses «relations avec les individus et les autorités nord-coréennes». L’apogée du voyage est sans doute la visite du mausolée de Kim Il-sung, le Grand Leader mort en 1994, devant la tombe duquel les touristes étrangers sont priés de s’incliner trois fois.
Guantanamo Bay (Cuba)
«La destination touristique la plus macabrement répugnante de la planète» pour le Daily Mail. «Sans doute la destination touristique la plus improbable du monde», écrivait en 2002 la BBC, à l’époque où la prison de la base américaine à Cuba ne faisait pas encore la une des médias internationaux. A quelques centaines de mètres des «combattants ennemis» incarcérés dans le camp de Guantanamo, la base navale américaine du même nom offre aux employés et soldats de l’armée américaine une panoplie d’activités et services dignes des camps de vacances américains qui fleurissent sur la côte mexicaine. Le site officiel de la Joint Task Force de Guantanamo vante ainsi les mérites de la base pour attirer les soldats américains: «La base navale de Guantanamo Bay est le rêve de tout amateur de grands espaces, et le climat doux de la baie permet à ceux stationnés ici de profiter de la pleine nature toute l’année. Des circuits de VTT aux activités sous-marines, vous trouverez toujours quelque chose pour vous occuper lors de vos heures libres.» McDonald’s, KFC, Wal-Mart, terrain de football américain, cinémas ou encore un bowling, Guantanamo n’est pas le pire endroit où se faire muter pour les employés de l’armée. Pour les touristes ordinaires qui n’ont pas accès au complexe de vacances, la colline de Mirador de los Malones offre une vue sur le Camp Delta de la base américaine que Barack Obama avait promis de fermer mais qui comptait encore 176 détenus en août 2010.
Enfin, une mention spéciale au canadien Mike Spencer Brown, qui a récemment stupéfait les autorités somaliennes en se présentant comme un touriste à son arrivée dans la capitale Mogadiscio, une des villes les plus dangereuses au monde où des combats à l’artillerie lourde ont lieu presque tous les jours. Un officier de la police aux frontières a déclaré que Brown, un baroudeur qui affirme avoir visité 160 pays, est le premier touriste étranger de la capitale «depuis des décennies». Vous pouvez suivre ses aventures à travers son profil Facebook, sur lequel il poste des photos de ses périples.
Grégoire Fleurot
Je connais des personnes qui ont voyagé pas mal dans au moins la moitié des pays du monde. Ils ont eu la peur de leur vie, à Johannesburg en Afrique du Sud, et entre autre à Kingston en Jamaïque. Les armes et la drogue étaient plus visibles que les cocotiers. Ils ne voient aucun intérêt de prendre des risques. Ils ont eu ces peurs, mais ne les cherchaient pas du tout. Il y a un certain nombre de destinations où ils ne mettront pas les pieds. Il y a tourisme et tourisme.
Vous pouvez vous aussi raconter vos peurs en vacances, vos peurs de touristes.